Pensées fleuries au coeur du mythe du pays des droits de l’homme
Chaque seconde de chaque journée depuis que nous avons été jetés contre l’urgence d’une bataille que nous pensions avoir encore trois ans à mener contre le fascisme peut me faire basculer d’une émotion à une autre : de la colère la plus banale, à la peur qui me ferait m’évanouir lorsqu’elle s’installe de manière trop froide, elle est généreuse lorsqu’elle me donne l’énergie nécessaire pour être optimiste et déployer ce qu’il faut de sueur pour continuer de lutter, mais quelquefois, c’est la terreur qui grimpe le long de mes jambes affaiblies par les nuits sans sommeil, peut-être la terreur transmise par le corps des aînés indigènes, peut-être la terreur des souvenirs bien réels propulsés jusque dans mes doigts de pieds, celle qui m’aura fait perdre des couleurs et des frisettes hrach dans le blanc de ma campagne monochrome.
J’ai peur qu’un jour il faille apprendre à courir (encore) plus vite.
Et puis il y a le mépris, celui-ci qu’on nous reproche, ce mépris dirigé vers les électeurs et les électrices du RHaine, ce mépris que je porte depuis les repas de famille et les petits cailloux incrustés dans le cuir chevelu de petite fille coincée dans la cour de l’école avec des enfants dedans, des enfants qui lancent des cailloux dans une cour carré avec une enfant au milieu du bac à sable. Un mépris qui protège, pour ne pas voir, ce que l’on sait déjà, que le “sorcière !” crié dans la cour carrée, est un appel à ne plus exister.
Non, ma France à moi c'est pas la leur qui fête le Beaujolais
Et qui prétend s'être fait baiser par l'arrivée des immigrés
Celle qui pue l'racisme mais qui fait semblant d'être ouverte
Cette France hypocrite qui est peut-être sous ma fenêtre
Celle qui pense que la police a toujours bien fait son travail
Celle qui se gratte les couilles à table en regardant Laurent Gerra1
C’était un peu celle-là, ma France à moi.
Celle qui ne pleure pas les Malik Oussekine et les Adama Traoré.
Comment de petits soldats du RN aujourd’hui étaient déjà dans ma classe hier ?
Comment réagir lorsque l’entourage qui nous a vu grandir devient notre ennemi politique ? Pas un adversaire de débat autour d’une bière au bar du coin, mais une personne, qui peut-être dans deux jours, remettra dans l’urne un bulletin qui vous déteste, ou s’abstiendra, complice, parce que au dessus de cela.
Comment combler cette blessure, et faire face à leurs choix qui mettent en péril la vie de celles et ceux que nous aimons et aussi, de toutes les personnes que nous ne connaissons pas ?
Alors, je fais ce que je sais faire de mieux, je me tourne vers la littérature, j’ouvre “La croix de la rédemption”, j’invoque James Baldwin et j’écoute ce qu’il a nous dire.
Je lis la préface de Léonora Miano, elle annonce : “L’amour, tel qu’il irrigue l’oeuvre de James Baldwin, est une exigence éthique; une démarche politique, enracinée dans l’humanisme lucide”.
Puis plus loin : “Abandonner l‘autre à sa déchéance, c’est toujours se condamner à mordre la poussière en sa compagnie”.

On partage beaucoup sur le réseaux sociaux, cet argument : “le RN s’attaque à ceux que vous aimez”. Peut-être est-ce aussi efficace que le mythe du métissage. Peut-être est-ce aussi efficace que le fut “Touche pas à mon pote”. Je ne suis pas sure que dans ma propre famille cet argument ait marché.
Il suffirait d’un visage, il suffirait d’un lien affectif, il suffirait d’être voisins.
“La colonisation travaille à déciviliser le colonisateur à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader”
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme
“La pratique politique de l’amour requiert une capacité à affronter sa nuit intime, et c’est précisément ce que la dissonance cognitive cherche à éviter, c’est aussi ce avec quoi la culpabilité coloniale se débat.”
Léonora Miano
Le 27 juin 2023, un jeune garçon, Nahel Merzouk, est assassiné par un policier. C’était il y un an. Je me rappelle de la voiture jaune, je me rappelle du bras armé, braqué, qui tire, je me rappelle des secousses dans mon corps devant les quelques secondes de la vidéo. Je me rappelle du silence. La nuit intime d’une France muette, accusatrice dans les écrans de télévision, complice des crimes racistes, d’une France dans le déni de la “race qui tue deux fois”2, dégradée dans son mythe du pays des droits de l’homme.
“Je crois que pour survivre à notre crise actuelle, il serait utile de faire ce que tout individu est forcé de faire pour survivre à une crise personnelle, c'est-à-dire regarder ses origines.” - James Baldwin3
La petite musique du “liberté, égalité, fraternité” a perdu ses basses.
Il écrit encore :
“J'affirme catégoriquement que la majeure partie de la population blanche de ce pays m'impressionne, et ce depuis très longtemps, en tant qu'elle est au-delà de tout espoir concevable de réhabilitation morale. Si je peux me permettre de le formuler ainsi, elle a été blanche trop longtemps; elle a été mariée avec le mensonge de la suprématie blanche pendant trop longtemps; l'effet sur sa personnalité, sur sa vie, sur sa perception de la réalité, a été aussi dévastateur que la lave qui a immobilisé les citoyens de Pompéi de manière si mémorable. Elle est incapable de concevoir que sa version de la réalité, qu'elle souhaite que j'accepte, est une insulte à mon histoire, une parodie de la sienne, et une intolérable violation de celui que je suis.”4
Nous devrions tous et toutes nous étouffer devant le déferlement de violences racistes, sexistes, homophobes, transphobes et antisémites incessantes en marche depuis que nous devons nous rendre à l’évidence : le fascisme est à nos portes, nous devrions tous et toutes agir, la peur, la colère et la tristesse au ventre, et commencer par la base, le plus facile, le plus rapide, le plus indolore : voter et faire voter. Refuser cette déchéance. Être conscients et conscientes que ce qui nous arrive aujourd’hui ne tombe pas du ciel, n’est pas une fatalité comme un gros point noir dans l’histoire française, que “rien n’arrive par hasard, toute arrivée à son départ”5, qu’est venu le temps de l’autocritique de nos mythes, de nos empathies sélectives, de nos aveuglements, de nos lâchetés et de nos compromissions.
“C'est peut-être là que résident en partie la définition, la fierté ou le prix de la liberté; en effet, cette perception implique nécessairement une réelle reconnaissance de l'autre, un réel respect pour lui et pour sa condition. L'autre n'est plus autre: il est, comme le dit la chanson, plus proche qu'un frère - l'autre, c'est nous-même.”6
Je parle de porte, mais quelle porte ? puisque certains l’ouvrent cette porte avec force et conviction, baignés qu’ils sont dans l’illusion d’une préférence nationale, d’une blanchité de souche, d’un grand remplacement, d’une supériorité intrinsèque, français et françaises du pays des droits de l’homme, toujours du bon côté de l’histoire, toujours du côté de la lumière, toujours du côté des victorieux.
“ Nous habitons un pays dans lequel les mots servent surtout à border le dormeur, pas à le réveiller”78
Souvenez-vous, de la rhétorique, du ballet des médias, des obsessions identitaires, de la politique du divertissement, du développement personnel non-politique centré sur soi et son élévation égo-spirituelle.
Quel est le prix de la liberté ?
La porte qu’ils veulent ouvrir c’est celle de la démocratie, de l’état de droit, des libertés pour tous et toutes, celles qui ne sont pas encore garanties et pour lesquelles nous nous battons chaque jour : la libre circulation, le droit de culte, le droit à l’accès aux soins, à l’éducation, à la dignité et au bonheur. Le droit à la reconnaissance aussi, des souffrances infligées aux descendants de colonisés, esclavagisés, génocidés - aux communautés noires, arabes, asiatiques, juives, musulmanes, des voyageurs, queer - et d’entamer un réel travail de réparations.
“ Nous ne pourrons éveiller ce dormeur, et Dieu sait que ce n'est pas faute d'avoir essayé. Nous devons faire notre possible, nous donner de la force et nous secourir mutuellement - ce n'est pas nous qui sommes en train de nous noyer dans l'apathie et la haine de nous-mêmes; nous avons un sentiment suffisamment élevé de notre valeur pour nous battre, même contre des forces inexorables, pour changer notre destin et celui de nos enfants, et la condition du monde! Nous savons qu'un homme n'est pas une chose, et qu'il ne peut être abandonné à la merci des éléments. Nous savons que l'air et l'eau appartiennent à l'humanité tout entière et non aux industriels. Nous savons qu'un bébé ne vient pas au monde uniquement pour être l'instrument du profit d'un autre humain. Nous savons que la démocratie ne signifie pas l'assujettissement de tous à une médiocrité toxique et en définitive malfaisante, mais la liberté pour tous d'aspirer à accomplir le meilleur de ce qu'ils renferment, le meilleur de ce qui a jamais existé.”9
Pour le reste, pour la survie, pour les privilèges des lendemains, j’aime à croire que j’ai la lutte dans le sang et bordée des fantômes de nos aînés, Albert Memmi, Gisèle Alimi, James Baldwin, Frantz Fanon, Charlotte Delbo, Elsa Triolet, Dorothy Allison, Angela Davis, Stefan Zweig, Walter Benjamin, Edwaid Saïd, Toumi Djaïdja, on continuera de s’inspirer de leurs luttes, et dans les mots, les vrais, ceux qui apportent des pansements et des solutions, ceux qui font exister les récits coincés entre les dalles de béton, qui transmettent les petites et les grandes histoires, et “en ce qui me concerne, l'effort pour devenir un grand romancier consiste simplement à tenter de dire autant de vérité que l'on peut en supporter, et puis encore un peu plus.”10

Et même si j’ai mal à ma mémoire, “je sais que si je survis, quand les larmes auront cessé de couler ou quand le sang aura séché, quand la tempête se sera calmée, j'ai une machine à écrire qui est mon tourment mais aussi mon travail. Si je parviens à survivre, je peux toujours y revenir.”11
Aux silencieux,
celles et ceux qui pensent c’est déjà trop tard
demandez-vous :
quel est le prix de la liberté ?
C'est vrai qu'c'est mal parti mais on va quand même pas tout casser
On détruit pas La Chapelle Sixtine
Juste parce que la chapelle est abîmée
Y a ceux qui se séparent et y a ceux qui réparent
Une révolution, c'est faire un tour sur soi donc c'est revenir au départMédine - Heureux comme un arabe en France
Pour les autres, les camarades, vous êtes des stars, on est ensemble 💘
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des trucs en plus dans la limite des caractères disponibles :
Une tribune, dont je suis signataire, publiée dans L’Humanité, un “Appel à un front anti-raciste populaire ”, à lire ici
“Si le RN accède au pouvoir”, la seule vidéo à regarder si vous ne deviez en regarder qu’une, à visionner ici
Pour comprendre pourquoi le racisme n’est pas une question morale, qui se résumerait aux insultes, et l’anti-racisme à dire “touche pas à mon pote”, une vidéo de la chaîne Histoires crépues, à visionner ici
L’extrait entier de “Love as never been a popular movement”, ici en lien avec “lettres tunisiennes à l’eau salée”
Ma France à moi, Diams, à réécouter ici
La race tue deux fois - Une histoire des crimes racistes (1970-2000), Rachida Brahim, éditions Syllepse, 2021
extrait du texte “Le problème blanc” (1964), James Baldwin, une traduction de La croix de la rédemption par Valentine Leÿs et Romaric Vinet-Kammerer, éditions Stock
extrait du texte “Un prix trop élevé ?” (1969), ibid
Lettre à la République, Kery James, à réécouter ici
extrait “Lettre aux prisonniers” (1982), ibid
extrait “Autant de vérité que l’on peut en supporter” (1962), ibid
Référence à mon dernier texte “ Littérature et extrême-droite” sur le développement personnel
extrait “Lettre aux prisonniers” (1982), ibid
extrait “Autant de vérité que l’on peut en supporter” (1962), ibid
ibid