J’ai, à l’heure où je vous écris, quatre fenêtres d’ouvertes (ne sachant pas faire l’économie des onglets j’ai commencé à subdiviser), quatre chroniques en cours d’écriture, des pages de notes, un carnet à côté de moi, un nouveau carnet commencé il y a quelques jours, une dizaine de livres ouverts sur le bureau, mon manuscrit dans sa fenêtre individuelle, des to-do list dans mon agenda.
Je dois aussi préparer un départ, protéger mon coeur de la haine, qu’il ne se brise pas comme du cristal dans la tempête. Savez-vous combien coûte une fuite ? Je lisais Monique s’évade cet été en Bretagne, après des nuits à lutter contre une angoisse transformée en nausée, le matin, face à la mer impuissante, elle qui ne l’avait jamais été, ne voulant pas admettre encore que lorsque le corps parle il dit quelque chose, que l’anxiété et la fatigue ne sont pas des états intérieurs permanents présentés comme des défauts, ou des freins à la relation à l’autre, mais bien des états symptômes des violences, du passé mais aussi du présent.
Je n’en suis pas à ma première évasion, mais peut-être est-ce la première avec le sentiment d’avoir quelque chose à perdre, et donc, quelque chose à protéger.
Un lieu à soi, l’écriture, croire au droit au bonheur, ces trois-là étant liés, indissociables - le résultat des uns et des autres.
Extraits manuscrit
Je n’avais jamais ressenti jusqu’alors l’angoisse de la perte : j’aimais cette chambre.
(…)
Le plus difficile c’est de fuir sa maison devenue prison. Laisser derrière la sensation de sécurité, les murs peints à notre goût, les petits objets sur les étagères, les jouets dans les bacs et l’odeur de la lessive.
J’ai cru, parce que j’ai aimé profondément ce lieu, qu’il était aussi à moi, qu’il me permettait d’écrire, que donc, je lui devais une sorte de redevance, pour cette permission. Un don, de temps et d’espace, lu comme une magnifique preuve d’amour, sans lequel aucune création ne serait possible. J’ai vécu ces derniers mois dans un long remerciement, un long sacrifice, m’effritant chaque jour un peu plus, au contact de l’autre.
Cet été, pour la revue Edwarda, en participant à une proposition de création libre, j’ai initié une réflexion sur l’amour, et mon incapacité à m’en saisir dans mes textes.
J’ai écrit :

Pourtant, il m’en aurait fallu peu, du temps encore, pour échanger ma voix contre la possibilité de l’amour. Finalement écume ou pas écume, dans la version la plus heureuse, Ariel se métamorphose par amour, se défait de sa peau, et de son identité.
Lorsqu’on écrit, rien n’est plus jamais une surprise, jamais totalement, on regarde en arrière et on s’aperçoit que les indices étaient tous là, que l’écriture connaissait le chemin que nous ignorions encore, ce qui constitue ensuite une archive - de l’intime - une preuve ; des pointillés à relier.
Combien de relations ai-je sacrifiées en pensant éviter le pire
Combien de fois me suis-je sacrifiée en pensant éviter le pire
Je ne sais plus dans quel paysage me glisser.
Je voudrais être peintresse et dessiner mes propres paysages. Je pourrais peindre une chambre sur une plage, une chambre ouverte sur le sable sans craindre d’être visitée. Les mal venus iraient se noyer dans la mer, seraient mangés par Scylla, plus personne ne pourrait pénétrer ma chambre, sans y avoir été invités.
Ulysse lui, sacrifie six hommes, pour éviter Charybde il serre à droite et, en silence, en secret, portant le poids de la culpabilité, il tombe en Scylla : un homme par tête de monstre, six corps qui disparaissent dans la gorge de la créature immortelle, et on se sait plus qui sacrifie qui, qui sacrifie quoi, et si Ulysse, au bout du compte, quand il aura six hommes en moins, quand il comprendra ce que cela coûte de revenir, de retrouver le chemin de la maison, du confort, de la sécurité, quand il comprendra que cette quête n’est que pour se sauver lui, on pourrait croire qu’il fera face à la culpabilité et qu’il ne restera au bout que la possibilité de raconter son histoire pour justifier la survie.
Combien coûte une fuite ?
Je sais ce que je refuse qu’elle me coûte.
Je sais aussi ce que je vais gagner : un changement de paradigme. Je croyais que je pouvais autant écrire grâce à ce contexte qui aurait été offert généreusement, bien que je compris vite qu’il n’était absolument pas gratuit encore moins donné mais soumis à cet impôt très élevé, devenir à la fois acte de propriété, caution ; à rechercher une maison, j’étais devenue un lieu en location ; je ne pouvais me dire que je pouvais écrire en dépit de ce contexte, et au contraire ralentie par les chantages à l’amour, au temps et les négociations permanentes.
Pourquoi changement de paramètres ?
J’esquisse l’idée de rendre une partie de la newsletter payante depuis quelques temps : retenue jusqu’ici par un sentiment fort d’illégitimité et la peur de ne pas réussir à collecter l’énergie nécessaire pour assumer mes promesses.
Qu’est-ce qui a changé ?
Tout ce qui je raconte dans les lignes précédentes.
Rémunérer le travail d’autrui me parait extrêmement légitime. Je sais par ailleurs que ma peur globale d’être une charge pour les autres se traduit comme une énorme difficulté à valoriser mon travail, et la sensation que je dois quelque chose, quelle que soit la situation. Avoir été sélectionnée comme mentorée à la Villa Valmont cette année et payée pour un texte pour la première fois le mois dernier a modifié les paramètres : tout ceci est bien du travail.
Protéger mes écrits, à la fois en ayant la possibilité de filtrer les abonnements, et me permettre d’aller plus en profondeur dans ce que je partage de moi et de mon écriture. La pratique de la newsletter créative est aussi relativement récente en France, et je tiens à pouvoir préserver mes droits d’autrice.
Bâtir ma propre chambre à moi.
Woolf avait compris, cent ans plus tôt, que la liberté n'est pas d'abord un enjeu esthétique et symbolique, mais un enjeu matériel et pratique.
Que la liberté a un prix.
Monique s’évade, Édouard Louis
De l’argent, et une clef pour verrouiller.
Que Virginia Woolf ait été victime d’inceste ne me parait pas un détail dans cette histoire de clef et de porte fermée. La question de la création et de la protection intime de toutes possibilités d’emprises, matérielles ou psychiques, est surement le combat que je mène le plus durement et le plus dur à mener.
usurier des coeurs
poinçonneur des âmes
Le travail de la réalisatrice Justine Triet tourne principalement autour de la question de la création - et des relations.
Ici, frissons dans la salle de cinéma grâce au personnage de Sandra qui dit ce que je ne saurais dire. J’aimerais plus tard explorer cette question de l’ambition artistique et du couple. Le ressentiment, la culpabilité, la jalousie ou le soutien, l’accompagnement - toutes ces combinaisons possibles, dans l’histoire de la littérature, dans ce que j’observe et surtout mes expériences personnelles.

Je suis née de deux héritages, l’amour des livres et de la mer, et de ma capacité à porter et raconter les histoires. Si l’on ne m’a légué ni maison, ni rente, je peux me les constituer seule. Mais plus sans la littérature.
Alors je propose de mettre en application toutes les idées que j’ai pour Constellations : reprendre la série “Chronique d’une histoire ratée - une enquête sur mon rapport à l’amour”, lancer enfin celle sur le “Pourquoi écrire”, très certainement aussi “Nos pères dans l’écriture - une en(quête) d’identité”, revenir sur la question du classisme, du milieu de l’édition et comment je navigue entre toutes ces questions, partager des textes de création et d’autres de réflexions thématiques des lectures croisées.
La version payante vous donnera accès à un texte par semaine : chaque dimanche matin un nouveau texte sera publié.
La version gratuite vous donnera accès à deux textes par mois.
J’ai fixé le prix mensuel à 7 euros, en prenant en compte la commission de la plateforme (10%) et celle du logiciel de paiement qui garantit une transaction sécurisée, en réfléchissant à ce qui me semble le plus juste pour moi - veiller aussi à rester accessible - et en garantissant plus de contenu gratuit pour tous et toutes.
Un abonnement annuel sera aussi disponible et ce que la plateforme appelle un “plan fondateur” qui revient à faire un don solidaire supplémentaire.
Constellations change aussi de nom : né de l’idée d’éparpillement, je ressens désormais l’envie de réunir mon travail autour de la question de l’écriture et tout ce qu’elle implique - socialement, politiquement, poétiquement - et de mon manuscrit en cours, dont le titre Je suis née derrière un rideau bleu reste encore une énigme pour moi, tissée tout autour de mes recherches et mes fragments de texte, tout en étant au plus intime de ce que je suis.
Derrière le rideau bleu est né.
L’écriture est aussi ce rideau, derrière lequel je peux me glisser, préservant ma pudeur, tout en continuant de bâtir une chambre-exposition dans laquelle je peux laisser entrer, avec une clef, apaisant ma peur d’être toujours cette petite fille ouverte qui cherche sa chambre, au détriment quelque fois, de sa sécurité.
Je vous donne alors rendez-vous toutes les semaines, chaque dimanche pour le café du matin 🌙
J’ai si hâte de pouvoir te soutenir autrement que par des emojis et des likes 🥹🙏🏼
C’est somptueux. Je suis estomaquée. Merci pour ça.